jeudi 20 janvier 2011

#309 – L'Autofictif n° 1005

... 805... 806... 807... puis j’ai pris peur, j’ai reculé... le huit cent huitième brin d’herbe de ma pelouse m’a paru bizarrement contourné, menaçant, le genre de végétation qui abrite ou dissimule une mygale, un python, une panthère. Prudence. La jungle amazonienne aussi a commencé bien bas.


Reste à savoir si coule en mes veines le sang de ma famille maternelle qui dépose les corbeilles des nouveau-nés qui lui sont confiées sur l’autre rive au terme d’un siècle accompli ou celui de ma famille paternelle qui se fige trente ans plus tôt. L’avenir se chargera de débrouiller cette passionnante énigme.


Les Editions Rimbaudelaire cherchent de nouveaux auteurs médiocres et crédules non interdits de chéquiers afin de les publier sans les lire ni les distribuer sous leur couverture pisseuse. Envoyez manuscrits. Réponse enthousiaste garantie sous 48 h.

L'Autofictif, 18 septembre 2010

mercredi 19 janvier 2011

#308 – Mauvaise herbe

Me voilà attablé au Brazza à compter le nombre de frites qui accompagnent mon tartare. Sur le chemin, j'ai compté les voitures croisées, me suis demandé combien de livres composaient la vitrine de l'Amandier la librairie putéolienne, le tout en chronométrant mon trajet depuis mon bureau. Il ne manquerait plus qu'à mon retour de déjeuner je m'accroupisse sur la pelouse devant ma société pour en dénombrer les brins d'herbe, alors je saurais que je suis devenu fou, irrécupérable, perdu.


Il faut que cela cesse !


Cette deuxième saison s'achève. Les 807 brins de mauvaise herbe repousseront sûrement. Merci à tous, et demain monsieur Chevillard continuera de compter sur ce blog alors que ses nouveaux livres viendront garnir les étals des librairies.

mardi 18 janvier 2011

#307 – (espaces compris)

Eh ! Le grand imaginaire, toi qui n’es jamais fatigué, efface donc l'ombre noire du monde si tu le peux.


Ravive la voix des reines perdues. Celles qu’on a aimées et celles qu’on a trahies. Retrouve aussi, pendant que tu y es, les cathédrales de la forêt en péril. Redonne vie à cet amas d’arbres calcinés par les guerres inutiles. Insuffle à la nature verdeur et vaillance, éloigne les nuages toxiques. Toi qui n’es pas avare de mots, enseigne la parole aux pierres, comme au bon vieux temps, quand les hommes faisaient jaillir l’étincelle des silex pour incendier leurs nuits et terroriser les fauves. Et cesse tout de suite d’affoler notre âme par des légendes d'amour qui savent d’avance qu’elles ne peuvent rien contre la marche du temps.


Viens seulement nous bercer. Et endormir notre vigilance inquiète.

lundi 17 janvier 2011

#306 – Tout le monde s'en fout ?

De ce Rom qui dort dans la rue, comme beaucoup d'autres, sous un carton où il a écrit en grandes lettres rouges DOSTA ?


De cette chanson aimée 807 fois sur Youtube et qui dit, comme bien d'autres : « je t'aime, mais c'est compliqué » ?


De Mario, Marie, Moïse, Yvette, Momo et tant d'autres, disparus avec l'hôtel Azur dans un brouillard de pixels, ce matin ?

dimanche 16 janvier 2011

#305 – Loi des séries

Chacun aura remarqué combien les saison 2 sont souvent décevantes, ne tiennent pas les promesses des débuts. C'est comme le deuxième film de la série, il reprend les ficelles et ne fait que les user encore plus... crac ! Ce summum de décevance est atteint par la saison 2 des 807 qui ne va même pas pousser jusqu'à 807 le nombre des triptyques et a largement dépassé le 269, qui est le tiers de 807 et qui aurait eu un sens, par multiplication s'entend, si les auteurs avaient vraiment voulu bosser, ou vraiment voulu faire semblant, cette année ; et je ne parle pas du taulier qui sait parfaitement lever le coude 807 fois quand on lui aligne des Leffe sous le nez. C'est pourquoi les numéros 3 sont les plus attendus, car souvent les plus réussis: ils ne reprennent que le bon du numéro 1 et jettent le mauvais du numéro 2, se hissant sur la plus haute marche du podium que ses deux prédécesseurs lui ont laissé et à laquelle ils lui ont permis d'accéder, ne lui servant humblement que de paliers.


En fait, cher lecteur, tu avais corrigé toi-même dès le début : ce sont les saisons 3 les plus décevantes, les numéros 3 des films à épisodes. Par ce préambule frauduleux je te préservais. Un cas d'école : Star Wars épisode IV, premier sorti, promet et surprend mais on reste un peu sur sa faim. L'épisode V profite de l'univers mis en place pour nous offrir une narration plus dense et dramatique, tout en ouvrant des perspectives inédites pour la suite, fils conducteurs qui nous tiennent en haleine. L'épisode VI, le troisième film sorti est une blague à base d'ours en peluche, d'happy-ending et de baraka (pardon, de Force). Constatons le même phénomène avec les trois Matrix, les ours en peluche en moins.


Et voilà les lecteurs du web soulagés car enfin Les 807 s'arrêtent ! Ouf !

samedi 15 janvier 2011

#304 – Entailles

Tout monte comme une vague. Une lame de fond qui part du fond des tripes, dévaste tout sur son passage.
Elle se remplit jusqu’à l’os d’une humeur purulente. L’odeur poisseuse déborde sa tête, sa main crève l’abcès.
Elle ne reconnaît pas cette poupée qui chouine. Elle sent juste, sans la voir, la déformation de sa bouche crispée.
Les mots ne déverrouillent rien.
Elle la pousse.
Rien de grave, rien de méchant.
Juste la détente métallique de son bras, calcifié par une tension forte.
L’enfant bascule.


Maman m’a fait tomber par terre.
Numéro de charme sur les genoux de l’amie de famille.
Dis donc toi, je vais donner le numéro de la DDASS à la petiote !
Elle n’a pas ri.


Elle n’en peut plus de ses successions incompréhensibles d’amour et de méchancetés roides. C’est cela être mère, être toujours submergée. Constater le mal fait. Déjà 807 entailles dans leur histoire commune. Elle ne sait rien faire d’autre. Elle regarde nouée l’enfance scarifiée sur la peau de sa fille.

vendredi 14 janvier 2011

#303 – Brelan de valets

Le costaud, d'abord, fesses, bide et joues de sumo soufflées à la paille. La taille bien marquée, par contre, curieusement étroite, sans doute étranglée par la croisée serrée du baudrier où ballotte une artillerie aussi lourde que lui. Il bloque facile l'entrée de l'impasse. J'entends son souffle, entre éructation de pitbull en rut et chaudière. L'ensemble a le look d'un sablier qui égrènerait les secondes qu'il me reste à vivre.


Le petit gros, ensuite. Patachon. Rouletabille, si vous préférez, avec bille comme sphère parfaite de tas de graisse, comme yeux en boules de loto ou bouille de trouduc, pas pour les qualités morales. Lui vient d'apparaître sur le seuil d'une sorte de têt à cochons désaffecté qui s'ouvre en carré à ma gauche. Quadrature du cercle sans failles du chambranle déglingué autour de ses arrondis suiffés. Ma seule chance est qu'il pourrait ne pas s'en dégager assez vite.


Le boss, pour finir. Je l'attendais. Il vient de se glisser dans mon dos, mais je l'ai repéré à son ombre sèche de grand sec,qui s'insinue devant moi, pas plus épaisse que celle du réverbère (bigleux le réverbère, il n'y a rien à attendre des municipalités semi-rurales après 23h). Deux pattes immenses de faucheux qui tiendraient ensemble dans une seule jambe de son slim. Torse infini d'éolienne. Au-dessus de toute cette verticalité, s'allonge, noire et horizontale, la visière d'une casquette. À l'endroit, la casquette. Aucune chance de voir sa tronche, mais on ne sera pas forcé de causer verlan en se canardant. C'est déjà ça.

jeudi 13 janvier 2011

#302 – Le Justicier

Quand on le voyait nu, de loin, on croyait voir la cicatrice d’un coup de couteau planté au beau milieu de son dos, entre les omoplates. De près, c’était un tatouage. Un oiseau en vol, ailes écartées. Ou bien un ange...


Ange déplumé ou dieu chauve, devant son miroir il ne savait plus qui il était. Il devait pourtant sortir ce jour-là et accomplir la 807e tâche que le Père lui avait confiée. Derrière leurs rideaux, les gens le regardèrent marcher dans la rue poussiéreuse. Ses deux colts de lumière aux côtés.


Il accrocha son auréole au clou et entra dans le saloon de l’enfer.

mercredi 12 janvier 2011

#301 – Du plomb dans l’elle

L’horizon chargé quand j’arrive à la cabane. Mon regard vrille sur son cou en angle droit, corolle violette sur la cassure, une tache de sang séché profonde, un trou. Bec à terre sur le parquet, ses plumes un camaïeu sombre. Une chaleur de plomb m’étreint, impact nauséeux dans l’estomac. La soif qui ravine, regard crispé sur la tache, douloureuse. À côté, d’autres perdrix, des faisans, pigeons, palombes rangées par espèces. Du gibier. 807 oiseaux morts. Je les revois déployés, fendant l’air au-dessus des marais, battre de l’aile aux détonations des fusils. Les chiens qui détalent aux cris de leurs maîtres pour ramener les proies serrées dans la gueule. Et maintenant, l’heure du partage. Ils sont là, en cercle, soldats de plomb. Un mètre quatre-vingts au moins, deux têtes de plus que moi.


Ils discutent, qui veut quoi, des arrangements. La soif encore, et toujours cette tache, chair violetée, dégoulinante. Un ciel violacé à mes yeux, compact, un écran de fureur qui envahit tout. En finir... Leur voler dans les plumes, leur mettre du plomb dans la tête, les éclater, tous. Mon ventre brûle, un liquide chaud coule le long de mes jambes. Leurs rires moqueurs.


Doigts engourdis sur le métal froid des fusils. Canon à l’horizontal, le claquement sec de l’arme refermée. Je vise dans le tas. Chaque coup porte une décharge nerveuse le long de ma colonne. Ils tombent comme des mouches. Les voir enfin là, terrassés, leurs yeux, des cigares éteints.

mardi 11 janvier 2011

#300 – Triple J

il y a Jean Prod'hom
Jean-Rémy et le patron du café
il y a ce qu'on écrit dans les marges
il y a les dimanches aussi
comme à la veille d'une conquête
il y a souvent la neige
il y a cette poésie rurale
le merveilleux
il y a les chutes et les autres lieux
et il y a les 807


Joël Hamm comme miroir de notre âme.


Tant qu'il y aura Joachim Séné, tant qu'il y aura Cornaline, tant qu'il y aura la musique de l'oncle, tant qu'il y aura la crise et ses ratures, tant qu'il y aura un journal éclaté avec des fragments de textes, tant qu'il y aura des extraits, tant qu'il y aura de la poésie urbaine et des machines pour la lire, tant qu'il y aura des convois pour emmener les mots, tant qu'il y aura un réseau à explorer, tant qu'il y aura les 807.

lundi 10 janvier 2011

#299 – Infidélité

C'était un sacré numéro.


Il en pinçait pour les belles carrosseries et ne se privait pas de s'afficher avec elles. Que des premières mains, aimait-il préciser. Il fallait le voir raconter comment il débridait la roulante, faisait patiner le bouzin et s'en allait sur les chapeaux de roues brûler le pavé. À l'entendre, il les avait toutes eues. La 201, la 302, la 403, la 504, la 605 comptaient parmi ses plus prestigieuses conquêtes. Nul doute qu'il se serait exhibé un jour avec une 807 si la vie lui en avait laissé le temps.


C'est après avoir pris un mauvais tournant qu'il s'est définitivement garé. Personne n'a jamais compris comment il avait pu s'enticher d'une DS.

dimanche 9 janvier 2011

#298 – Ordonnance

Avant d’aller à son rendez-vous, Marie applique sur sa peau pour la 807e fois la pommade toxique aux vertus cancérigènes prescrite par sa spécialiste.


Marie se gratte jusqu'au sang sur la table d'examen du cabinet de consultation de la femme médecin dermatologue maigrichonne qui compatit dans sa blouse blanche :
– Vous souffrez d'une intolérance aux contacts physiques prolongés avec les gens. Évitez-les dorénavant ! Comprenez-vous ?...
– Cela risque de poser des problèmes de communication. Ne croyez-vous pas, docteur ?...
– Naviguez sur Internet !
Et la spécialiste s'assoit derrière son bureau encombré d'échantillons de produits cosmétiques, elle appose le tampon marqué Google sur l'ordonnance qu'elle tend à la patiente qui oublie durant un instant sa démangeaison, incrédule.


Google, priez pour nos âmes errantes sur la Toile !

samedi 8 janvier 2011

#297 – Petite mort

Assise sur son ventre, silhouette mouvante au-dessus de lui, elle danse sur l’axe douloureux de son âme.


Des éclats d’argent tintent dans l’obscurité. Elle a gardé ses bracelets, froids sur sa peau quand ses mains parcourent son corps. Des gouttes de sa sueur tombent chaudes et gèlent sur son front. Il cambre le dos sous elle. Hauts perchés dans le creux de ses mains, ses seins caoutchouc bourgeonnent et percent ses paumes. Elle bouge autour de lui, bleue sur la nuit où meurent 807 étoiles inconnues d’eux. Il tient ses hanches serrées dans ses paumes. Ondulation circulaire. Succion mouillée. Son souffle, ses yeux, sa bouche.... Il est tout entier dressé dans ses ténèbres chaudes, astre rouge, veineux, douloureux, luisant de mucus, couvert, découvert par le flux océanique. Marée de phosphore. Bleu des profondeurs. Salive, moiteurs. Il aspire, boit le lait de ses aisselles, sa liqueur, s’enivre de son sel. Elle danse, danse sur lui, s’approche et s’éloigne, brûlante, haletante. Quand elle se penche, ses cheveux fouettent son visage, balaient ses paupières. Yeux fermés, yeux ouverts, il tend le cou pour mordre sa bouche au passage comme un enfant sur le manège essaie d’attraper le pompon. O de la bouche, claquement sec, ouvre, ouvre, encore. L’œil noir dans la nuit, aigle humide, prend tout : bouche, sexe, chair et ventre, peau, sang, regard, souffle, souffle et nuit, brûlure, stridence, douleur, râle et souffle, plaisir, souffle, souffle et chute et cri.


Gerbe d’or. En un flash il a tout vécu et tout perdu avant de mourir avec elle de leur petite mort hurlante.

vendredi 7 janvier 2011

#296 – TrajetS

Avec ce temps trop de saison, l'asphalte devient pire qu'un hier éthéré et meilleur qu'un incertain demain. Au Pas-de-Calais, mon pas n'était plus sûr. Bitume de l'amertume, la neige se cristallise autrement, elle floconne en palissant. Je tourne dans le sentier de Pas-de-Pitié qui débouche chemin de la Saint Glinglin. Arrive après sur un trottoir qui broie du choir, un vrai macadam pour états d'âme. Cela tombe à propos, j'en regorge : impasse des mauvaises passes, où l'effondrement est bien venu ; venelle des jours cruels, où aiguiser ses scalpels ; avenue des déconvenues, où les mouchoirs ne sèchent jamais. Tiens, vous êtes là ! Ruée dans la rue des cruelles, rue de ce qu'on a cru d'elles... et qui nous a laissés pantelants. Trouver ceux de nos chemins qui mènent à Rome, n'est pas une mince affaire, sacrebleu. Voici l'accès des portes fermées, le passage des anges sauvages, la voie de la conne foi, l'artère de la charnière, les charmilles des jeux de filles, l'autostrade des maussades, les sentiers des hommes entiers. Voilà, la voirie de la sauterie... Sans omettre la street de « pas la frite », le malfamé boulevard des têtes de lard où se planque la fameuse ruelle des rebelles... Celle qu'aucun plan n'indique. Battons le pavé de nos semelles ferrées. Mais, suivez-moi... faisons chemin main dans la main.


Vous ai-je parlé de la rage que, dit-on, l'on attraperait passage des déballages ?


Attention, place des rapaces, ça verglace maintenant... de pâlir en floconnant, l'on blanchit sans prendre gare en nuageant… mais je m'égare dans une fièvre ferroviaire... 807 nuées troublent l'horizon, une brume qui s'étire, des nimbes qui s'exhalent... la vue se brouille... j'aurais tant désiré t'y guider... dans ce nid... doux, chaud et parfumé... mais le trajet, je l'ai oublié... alors... comment t'y emmener...

jeudi 6 janvier 2011

#295 – Le ralentissement du monde autour

On est vieux quand on choisit de taire les choses, de ne pas les dire avec les mots mais autrement, dans les regards plein de fatigue et de lenteur, dans les gestes qui mesurent, signent le repli, le renoncement.


On est vieux quand on n’a plus idée de ce que c’est que marcher dans le bleu, le radieux, aller droit devant pour le plaisir, le goût du ciel, des odeurs sur les talus, quand on choisit d’oublier les grands émois et le corps qui chavire, le vertige.


Il y a 807 manières d’être vieux et tant de choses à ignorer – les redditions sans nom, sans retour, l’infime, l’imperceptible passage de frontière, là où tout se défait, se retire doucement – si l’on veut tenir droit jusqu’au bout du chemin, paré de cette beauté poignante qu’ont les choses qui s’achèvent.

mercredi 5 janvier 2011

#294 – Carnets

Depuis une semaine, chaque nuit ce même rêve. Vague sentiment d’angoisse pendant la journée. Sans doute lié au sentiment de manque toujours présent pendant ce rêve.


Images fugaces revenues pendant la journée : pépé, la 403. Tenter demain de le noter au réveil.


Gamin dans la 403 du grand-père, une nationale toute droite ; devant nous, une autre Peugeot, identique : même modèle, même couleur ; pépé accélère, lui colle au cul, déboîte ; et tandis qu’il la dépasse, l’impression angoissante qu’il manque quelque chose...

mardi 4 janvier 2011

#293 – Solitude

8. Huit corbillards chargés de leur cercueil attendent dans le vent frisquet de l’aube. Huit morts bien sagement alignés sur la place devant la morgue frileuse attendent que l’on veuille bien s’occuper d’eux. La fumée des cigarettes des convoyeurs oscille en longues volutes pâles vers le ciel qui commence à s’éclairer.


0. Personne n’est venu accompagner les partants, ni parents, ni amis, ni simples curieux. Pas même quelque livreur de fleurs. Il est trop tôt, il fait trop froid. De toute façon, les morts sont morts, ils s’en contrefichent bien des vivants.


7. Sept corbillards ont démarré en même temps. Au prochain carrefour, ils se sépareront. À chacun son cimetière. Le huitième est resté sur le parking de la morgue. Son conducteur avait omis d’enclencher le réveil la veille au soir. Il dort encore. Et le mort, bien sage, attend tout seul, là, comme un con.

lundi 3 janvier 2011

#292 – Immersion archivale

Aller dans le placard. Commencer par la rangée de gauche, étagère du haut, du milieu, puis celle du bas. Mettre les dossiers à archiver sur un chariot. Le tracter péniblement jusqu’au bureau. Les répertorier un par un dans la base de données. Les remettre sur le chariot. Aller chercher la clé des archives dans le bureau du chef. Ne pas les trouver, ni la clé, ni le chef. Partir à la recherche du chef. Aller à la machine à café. Trouver le chef. Lui dire qu’on a besoin de la clé. S’entendre répondre d’attendre cinq minutes. Repartir bredouille à son bureau avec une furieuse envie de mordre. Passer un coup de fil perso en attendant. Raccrocher vite quand le chef revient. Le suivre dans son bureau pour avoir la clé. Repartir avec. Prendre le chariot surchargé et se diriger vers l’ascenseur. Aller au troisième sous-sol. Ne pas réussir à ouvrir la porte. Insister. Donner un grand coup de pied dedans. Penser fort au chef.


La porte cède. J’entre dans le local humide et poussiéreux où je dois classer les boîtes d’archives. Ça pue le rat crevé là-dedans. Comme le chef. Je prends une boîte, je la jette par terre et je shoote dedans. Ça fait un bien fou. J’agrippe le chariot et je le renverse, éparpillant toutes les boîtes autour de moi. Ça fait comme un tapis. Je me jette dedans, je bats des bras et des jambes, je nage dans la mer, ça sent l’iode et les algues. J’entends le cri des mouettes. Je me tourne sur le dos et je fais la planche en comptant les nuages qui moutonnent dans le ciel. Je m’assoupis...


Le lendemain matin à 8 h 07, on la retrouva endormie aux archives.

dimanche 2 janvier 2011

#291 – Altitude hivernale

Quand nous sommes entrés dans le chalet, il faisait 8 degrés, à peine plus, à peine.


— À quelle altitude sommes-nous ?
— Aucune idée... Le panneau indiquait 800 mètres quand nous sommes entrés dans le village, je dirais quelques mètres de plus, mais combien ? En fait je m'en fiche, là tout de suite, c'est la température qui me préoccupe.


Ce radiateur à bain d'huile de marque Iner ne chauffait que son anagramme.

samedi 1 janvier 2011

#290 – Mythomane

Il exhume ses 807 vies. Sa biographie éclaire le monde.


Il est le fils aîné d’une immigrée italienne déprimée et bavarde. Son père, un taiseux angoissé abandonné très tôt au guichet de l’Assistance est fils putatif d’un baron français marchand de houblon. Fils indigne, il découvre les mots qui le sauvent de ses peines et de ses maux. Il s’y noie. Devenu un conteur prodigieux, il égaye de son verbe déluré la banlieue où il vit. Mais il fait trop souvent la guerre, dans sa tête. Volontaire ! Décoré, bardé de croix, blessé grièvement sur le front de l’Amour, il rédige ses mémoires, enterre ses amis. Il songe à l'Autriche, à ses plumes. Il cherche un travail dans les maisons de santé. La sienne décline. Il devient journaliste par désespoir.


Lassé, il part à Avignon, visite son palais, y rencontre le pape et sa mule, théorise avec eux la confusion des races, le mélange des cultures. Il aime les odeurs de la ville, sa douceur, sa languide intensité, ses propres attitudes magnifiques devant les remparts. Il se voit porté par le vent mieux qu’un étendard. Il irait aux quatre coins du monde s’imprimer dans chaque tête d’homme. Il vivrait un siècle chaque fois. Au fond, il aurait aimé se sentir chez lui partout, y compris dans sa peau.

samedi 25 décembre 2010

#289 – Joyeux Noël

Que faites-vous sur ce blog alors que vous avez encore 807 cadeaux à ouvrir ?


Je suspends la publication jusqu'à l'année prochaine, vous m'avez l'air bien occupé, et cela me donnera le temps de réfléchir si ce blog continue après le 19 janvier 2011.


Enfin, je vous souhaite un joyeux Noël et mes meilleurs vœux – qu'ils soient avouables ou pas – pour la nouvelle année.

vendredi 24 décembre 2010

#288 – Digitales

Souviens-toi de ce que je ne t’ai pas encore fait. Murmure-moi que tu t’en rappelleras, même si la mémoire s’efface, le sentiment subsistera, flottant et nous enveloppera comme un rêve, engluant nos facultés de bouger. Au-delà du vent, même dans la fatigue de novembre qui grignote, ce qui reste, c’est nous.


Souviens-toi qu’il y en avait de toutes sortes, elles s’étalaient du langoureux au griffu, leur pression jouait aussi, on s’en enveloppait de façon éphémère car elles scellaient notre pacte.


Sans intermittence les liens se dénouaient, les chairs se scarifiaient, l’avenir avait mauvais goût, on les tentaient paumes ouvertes dans la pénombre d’un crépuscule frissonnant, les osait dans des lieux peu fréquentables, elles nous marquaient sans laisser de traces. Difficile de convoquer les mots : les décrire devenaient plus difficile que de traverser le désert de Gobi sans eau ; les nommer était plus paralysant que d’errer en Antarctique nus-pieds ; les invoquer plus casse-tête que de reprogrammer le Big Bang. Ceux qui les fuyaient avaient la peau craquante des lézards. Elles cautérisaient les tatouages encore chauds... on ne s’en vantait pas, les confessait parfois à mi-voix. On conservait leur réalité loin après leurs apparitions. Elles nous cernaient, parlants d'immanence et de la douceur d'être réunis, elles nous rassemblaient et nichaient les têtes au chaud dans les épaules, au chaud. On n’en n’avait jamais assez et nos désirs d'elles subsisteront après 807 oublis. On n’en pouvait plus d'elles.

jeudi 23 décembre 2010

#287 – Affections

J’avais mal, mais ça m’occupait. Et je n’étais pas fâchée d’avoir à me battre contre moi-même, de m’intéresser un peu à moi. C’est l’avantage des affections, elles charpentent la personne. En même temps, c’est trompeur, il y a le moment où ça se calme.


Il souhaita mourir au moins 807 fois dans la nuit, pour punir sa maîtresse de lui avoir posé un affreux lapin. Or, déjà il se sentait mieux. Il se rendormit avec le regret de n’être pas assez malade pour mériter son attention.


Il avait mis sa maladie au centre de son existence. Ce fallacieux prétexte lui permettait d’entretenir sa paresse et de tromper ceux de son entourage. Mais qui trompait-il ? Personne n’était dupe et surtout pas lui.

mercredi 22 décembre 2010

#286 – Vanité

C’était une veuve boiteuse mais pas vilaine. Plus de 807 hommes l’avaient culbutée, les uns après les autres, sur les tas de foin.


Depuis vingt ans, elle initiait tous les gosses du pays. Elle les regardait pousser, attendait avec patience leur maturité. Quand leur menton commençait à s’ombrer, quand leur cœur commençait à battre trop fort, en un tournemain elle les délivrait de l’enfance, éclaircissait leur sang et leurs rêves. Son plaisir était presque devenu une fonction municipale.


Elle avait acquis, par son expérience amoureuse, une sorte de renommée et en était quelque peu vaniteuse. C’est ce qui la perdit. Un puceau qui avait passé le moment depuis longtemps lui résista. Elle ne s’en remit pas. On la trouva un jeudi au fond d’un puits.

mardi 21 décembre 2010

#285 – Écrivez si m’en croyez !

Chaque nuit, aux environs de trois heures, c’était la même chose : ce réveil brutal, les doigts qui tremblent et la bouche sèche... Et ce vague sentiment d’inquiétude... Ce cauchemar... Toujours le même... Terrible !...


Il entrait dans son bureau, allumait l’ordinateur. Il fallait vérifier. Ce serait vraiment trop con !... Quand il avait envoyé les mails tout à l’heure... l’un à Garot, l’autre à Poiraudeau... L’impression qu’il s’était mélangé les pinceaux... envoyé au convoi des glossolales ce qu’il avait prévu pour les 807...


Le temps de respirer profond pour se calmer... de s’habituer à la demi-pénombre… toujours la lumière du couloir qui filtrait sous la porte... comme quand il était gosse... reconnaître le fauteuil qu’il avait eu le droit d’amener de chez lui... la commode que fournissait l’établissement... la télé qui était là d’office et vous aviez beau dire que vous... lentement comprendre... se réinscrire dans le temps... les médicaments sur la table de nuit… les couvertures marquées du nom de la maison de retraite… et sourire amer aux lèvres se dire que belle lurette qu’ils n’existent plus ces deux blogs !...

lundi 20 décembre 2010

#284 – Mortel été

À un moment donné, le printemps arrivait. Les maisons se secouaient de leur somnolence, des explosions de glycines dévalaient les murs en meulière, le goudron se couvrait de parcours à la craie où ciel et terre se rapprochaient. Le soir, on s’asseyait aux seuils des portes pour regarder le ciel s’assombrir. Les enfants jouaient jusqu’à ce que la nuit les écrase de fatigue.


Arriva l’été. Une vague de chaleur balaya la ville, insoutenable. Une chaleur épaisse comme un nuage de feu brusquant tout sur son passage. Au début, on arpenta les nuits à travers la ville, guettant la fraîcheur des parcs, l’eau des fontaines. Le goudron s’enfonça sous nos pas, chaque heure devint plus chaude. Dans les maisons, on étendit du linge mouillé aux fenêtres pour humidifier l’air. Rien n’y fit. Une chape suffocante se répandait d’une pièce à l’autre. Les jours passèrent au gré des pics de chaleur, une onde de choc jusqu’aux confins de l’Europe. La mer, même, n’y suffit plus. Elle charria des poissons crevés sur le rivage, ventres retournés, dégageant une odeur pourrie. Il fallut chercher ailleurs, dans les forêts d’altitude qui finirent aussi par s’enflammer. Puis la nouvelle arriva, on l’entendit à la radio un matin, elle circula toute la journée jusqu’au soir. On commençait à compter les cadavres. Des nuits tuèrent d’autant plus que le vent s’était tari dans la journée. Les hôpitaux donnèrent l’alerte, les urgences débordaient. Ce fut trop. Alors, on entassa les corps violacés dans des hangars réfrigérés.


L’automne s’annonçait. On inhuma les 807 dépouilles abandonnées sous un ciel de lin.

dimanche 19 décembre 2010

#283 – La petite fille

Lorsque la petite fille était petite fille, elle s’asseyait sur un rocher au bord de la mer et attendait que la marée monte pour voir si les vagues allaient l’engloutir.
Lorsque la petite fille était petite fille, elle aimait recompter les 807 roses aux couleurs fanées du papier peint de sa grand-mère.
Lorsque la petite fille était petite fille, elle voulait faire le tour du monde.
Lorsque la petite fille était petite fille, elle ne savait pas qu’on avait le droit d’être mauvaise élève.
Lorsque la petite fille était petite fille, elle n’avait peur de rien.


Puis vinrent les Ailes du désir et le premier amant.


Tu te souviens des sachets de bonbecs qu'on avait pour 1 franc ?

samedi 18 décembre 2010

#282 – Guerre

C’est un peuple errant regroupé sous des toiles de fortune, les poings sur les oreilles tandis que les pales de 807 hélicos hachent le soleil. Éclats de boule de bal, mire et miroir sur les vivants et les morts.


C’est un enfant noirci de coups, les yeux blancs d’obscurité. Papa, maman, mon amour... C’est son corps traîné par un pied, ventre gonflé parcouru de veines trop bleues, des cheveux d’algues et une plaie blanche à la cuisse. C’est ce chien dévorant les ventres putrides, le mufle enfoui dans les entrailles vertes. Rafale dans la rue rectiligne, des ombres saignent sous le soleil glacé. Lambeaux pourpres noirci sur leurs bords par le feu des obus, caillots panés de poussière éclatant sous les pas. Papa, maman... C’est cette porte tambourinée au petit matin sale et cet homme derrière, à la bouche un pli amer et des croûtes de sommeil au bord des paupières.


C’est ce cri à peine audible, ce silence imprimé qu’on caresse comme une enluminure. Cette image sans regard qui s’agite dans le nôtre sous son encre noire. C’est notre amour qui ne change rien à tout ça en faisant plus de bruit que ces cris, ces agonies. C’est notre silence qui vous torture et vous tue. Ma mère, mon père, mes frères, mes sœurs, mon amour...

vendredi 17 décembre 2010

#281 – It’s Christmas time

Les boules, les boules, les boules. Et sur la grande place, le sapin gigantesque, presque aussi haut qu’un building ‘ricain de 807 étages.


Les employés municipaux qui piétinent dans des flaques de neige grise en soufflant de la fumée blanche. La grue en panne et le maire qui gueule « mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !? ».


La magie de Noël qui reste coincée sous les ongles comme de la poussière qu’on gratte au fond d’une poche.

jeudi 16 décembre 2010

#280 – C'est pas de la balle

Oscar – Faisons le point : Mon rapport, rédigé sur les chapeaux de roue, je l’ai mis dans le pipe, sa conclusion est qu’il faut acheter au son du canon et vendre au son du clairon. Et pour la suite de la réunion, tu me mets dans la boucle ?


Carine – Oh là là, il ne tourne pas rond, celui-là, n’a toujours pas compris qu’on ne voulait plus de lui dans la ronde ? Il me court sur le haricot à force de rouler les mécaniques. Y me fout les boules. Ras le bol. On va lui en faire baver 807 ronds de citron.


Oscar (en voix off) – Comme l’impression que l’ambiance tourne vinaigre. J’en reste comme deux ronds de flan.