dimanche 28 février 2010

#40 – Nénuphar mort sur un lac d'or

Chaque jour j’ai pointé sur le cœur d’une fleur
La lance de mon feu, l’éclaboussant de mort
Aujourd’hui je la perce et nul ne la déplore
Sur son lit de blancheur que d’or encor j’effleure


J’exècre ces pastilles que l’on dispose dans les urinoirs. Tout en elles m’horripile : leur couleur rose pastel, leur parfum chimiquement floral et, surtout, leur forme de fleur schématique qu’un gamin aurait dessinée. Chaque détail se voudrait printanier, léger, pur ; tout cet artifice voudrait évoquer la nature et nous faire oublier l’urine. Pourtant, rien qui souligne autant que je suis ici aux chiottes pour éliminer un déchet qui inspire le dégoût. Sans cet arsenal de niaiserie et de kitsch chimique, que ce serait bon de pisser. Aussi, chaque jour, je vise de mon jet d’urine le centre de cette pastille rose qui à chacune de mes visites ressemble de moins en moins à une fleur. Enfin, la voici transpercée, de part en part. Bientôt, il n’en restera sur la faïence blanche qu’un fragment rose et difforme baignant dans une flaque jaune.


Sur mille quatrains, huit cent sept naissent de la sublimation du vulgaire.

samedi 27 février 2010

#39 – Question de point de vue

Ma voiture se déplaçait en zigzaguant sur l'autoroute ; sur un des pneus, un moucheron écrasé effectuait une cycloïde de manière posthume.


Depuis plusieurs minutes, j'évitais à grands coups de volant des inconscients lancés à pleine vitesse.


La radio était allumée et incroyablement, personne n'y faisait mention d'un amas de conducteurs fantômes. J'en avais pourtant déjà évité 807 !

vendredi 26 février 2010

#38 – Pardonnez mon anglais

– Je te ping après mon meeting car il faut qu'on swap le call de la project review avec celui du weekly catch-up. Mon boss a challengé mon project plan, il faut que j'out-source le release management si on veut rentrer dans les targets du steering group.
– ...
– Laisse tomber, on ira plutôt boire une bière.


Le ministère de l'Éducation travaille sur une nouvelle mouture du programme de collège. L'anglais deviendrait la langue d'enseignement et remplacerait le français qui rejoindrait le latin et le grec parmi les langues mortes. De facto, la langue vivante 1 recommandée ne sera plus l'anglais mais le chinois.


Certains de mes interlocuteurs anglophones, sûrement pour m'être agréables, essaient, un peu comme Odette la demi-mondaine lorsqu'elle utilise quelques mots d'anglais, rappelez-vous ce charmant « vous savez que je ne suis pas fishing for compliments » (Un amour de Swann), saupoudrent leur conversation d'un peu de français, s'excusant, ultime politesse que cette modestie, de mal maîtriser la langue de Proust, avec un délicieux Pardon my French. Ainsi, dans la seule journée d'hier, j'ai compté 807 « Pardon my French, phoque ! » J'ai décidé de compléter leur vocabulaire en leur apprenant ours polaire...

jeudi 25 février 2010

#37 – Jour de fête

Accoudés au zinc du café du Cygne, Jean-Rémy et ses amis font une partie de 421 en pataugeant dans le vin blanc.
– Lorsque l’un d’entre vous aura obtenu 807, j’offre la tournée.
Ils retroussent leurs manches et se mettent à l’ouvrage. Je repasse en fin d’après-midi, ils ont dessaoulé et le visage des morts.
– T’as pas plus simple !


« Se dépasser, se dépasser, se dépasser... » murmure tristement le cheval blanc du manège sur la place du village.


Les moineaux jouaient à cliclimouchette tandis que derrière le battoir un jeune homme aux idées noires fourbissait ses armes.

mercredi 24 février 2010

#36 – Imposture

« Romain Gary est le seul écrivain à avoir jamais été récompensé deux fois par le Prix Goncourt : en 1956 sous Romain Gary et en 1975 sous Émile Ajar. Ce n’est qu’après sa disparition qu’on apprit que, sous le pseudonyme d'Ajar, Gary était également l'auteur de quatre romans dont la paternité avait été attribuée à un proche parent Paul Pavlovitch, lequel avait assuré le rôle d'Ajar auprès de la presse et de l'opinion publique. Ajar et Gary ne furent pas ses seuls pseudonymes puisqu'il est aussi l'auteur d'un polar politique écrit sous le nom de Shatan Bogat et d'une allégorie satirique signée Fosco Sinibaldi. » lis-je sur Calou, l’ivre de lecture. Superbes pieds de nez au Tout-Paris littéraire ! J’envie Gary plus que BHL.


L’imposture est un plat qui se mange chaud, se digère mal chez les piégés, égaie la vie du poseur de canulars. J’en suis à trois, bientôt quatre impostures. Je ne désespère pas d’atteindre mon chiffre sacré, 807.


Fripon, polisson... inutile d’être névrosé pour imposter, simplement joueur. Ne rien prendre au sérieux, sauf le rire et la farce !

mardi 23 février 2010

#35 – Pierres précieuses

Dans un jardin ou Jardin n'a jamais mis les pieds, le jour du 807e triptyque d'Éric Chevillard, quelqu'un a élevé un cairn avec un nombre certain de pierres blanches.


Quand le gros célibataire lui donnera un solitaire, elle le prendra. Du bout des lèvres.


Il faut le dire : tous les livres qui attendent preneur sur les tables des libraires ne méritent pas d'être payés rubis sur l'ongle.

lundi 22 février 2010

#34 – L'absent

Treize minutes et quarante-cinq secondes. C'est le temps qu'il m'a fallu pour réaliser qu'il était parti. Parti pour de bon.


807 secondes pendant lesquelles j'ai cru qu'il était allé chercher des cigarettes, oui des cigarettes, non ce n'est pas politiquement correct, oui c'est affreusement banal, c'est cliché, c'est usé, éculé, mais pourtant c'est exactement comme ça que ça s'est passé, et ceux qui ne me croient pas eh bien qu'ils retournent à leurs thèses et à leur littérature et à ce qu'ils veulent et après tout moi je m'en fous.


Je me fous de tout.
Je.
Veux.
Juste.
Qu'il.
Revienne.

dimanche 21 février 2010

#33 – Première à éclairer la nuit

Il pose sa main sur le monument millénaire, et sa paume le recouvre entièrement. Il s'amuse alors à le jeter à l'eau, là-bas, dans l'écume, pour reproduire la légende. Mais rien ne sort qu'un vieil oursin affolé.


Les déesses aussi sont sensibles au règne minéral. Pour peu qu'elles prennent leur bain au mauvais moment, elles perdent – en plein front – connaissance : c'est la noyade assurée et adieu la légende.


Huit cent sept policiers chypriotes recherchent activement un profanateur de ruines.

samedi 20 février 2010

#32 – Un début de conversation

Près des œillets, une tourterelle picore ce qu'elle trouve sans s'inquiéter de la soudaine conversation.


Oh ! C'est vous ! Je suis content de vous revoir. Depuis tout ce temps. Samedi dernier encore, j'ai acheté ma viande chez vos parents, avant mon accident.


Ne dites pas à mon père et à ma mère que je suis au cimetière ; ils me croient toujours en ménage avec Erica, au 807, rue de la Petite Ventriloquie.

vendredi 19 février 2010

#31 – 807 fois, Emma

Le besoin de s’échapper avait pris place au creux de son corps à l’enfance. Tant de fois, elle s’était surprise à y penser... Orpheline de mère à huit ans, sans destin déjà et cette envie de fuir qu’elle ne comprenait pas. Et, chez les Sœurs, les livres comme évasion.
Emma avait imaginé, prévu, joué et rejoué la scène. Toujours la nuit, souvent accompagnée de Rodolphe, parfois de Léon. Peut-être même d’Homais, si seulement elle avait osé se comporter en vraie garce... Jamais elle ne voyait Charles, ce nigaud que le sort lui avait fourgué comme mari. À force de nourrir son esprit des fugues à venir, elle avait fini par y croire. Mais pour une femme, impossible de partir seule.


« L’illusion est le privilège des lâches ! »
Petite phrase anodine entre deux hommes élégants, volée par hasard le soir du bal à la Vaubyessard. Son existence médiocre ainsi révélée.


Huit cent sept fois, elle a songé à fuir sa vie. Et ce soir, à la huit cent huitième, Emma est toujours là. Le flacon tremble dans sa main. « Tant pis ! » s’exclame-t-elle avec fièvre, avant d’en avaler le contenu.
Arsenic, quel étrange amant pour une fuite irréversible...

jeudi 18 février 2010

#30 – Veillée

Lourde insomnie cette nuit malgré l’application consciencieuse des techniques mises au point par Ravel. À minuit pourtant le sommeil avait pointé son nez, mais l’air du boléro a joué des coudes et le sommeil a foutu le camp.


– Je me demande bien si j’ai dormi cette nuit.
– Mais enfin ma Lili, tu as dormi comme tout le monde, n'est-ce pas ?
– Je sais pas, je ne me suis pas réveillée une seule fois.


Jorge Luis Borges ferme les yeux et il voit un troupeau de moutons. La vision dure une seconde, peut-être moins. Leur nombre était-il ou non défini ? Le problème enveloppe celui de l’existence de Dieu. Si Dieu existe, le nombre est défini, car Dieu sait combien de moutons il a vus. Si Dieu n’existe pas, le nombre n’est pas défini, car personne n’a pu en faire le compte. Dans ce cas, il a vu un nombre de moutons, disons inférieur à 810 et supérieur à 805, mais il n'a pas vu 806, 807, 808 ni 809 moutons. Il en a vu un nombre compris entre 810 et 805, qui n’est ni 809, ni 808, ni 807, ni 806, ni 805,... Jorge Luis Borges s’est endormi le 14 juin 1986 à Genève.

mercredi 17 février 2010

#29 – Vicissitudes de la vie du santon

Les santonniers modèlent leurs petites pièces d’argile de façon toujours plus innovante. Les personnages bibliques de la crèche provençale traditionnelle (l’enfant Jésus, l’âne ou le bœuf) s’accompagnent aujourd’hui de figurines peinturlurées incarnant les métiers traditionnels : le maréchal ferrant, le facteur, le vitrier. Les reconnaître s’avère chose aisée. Si les santonniers se modernisent encore, nous sera-t-il vraiment possible d’identifier les santons figurant le chargé de communication, le responsable administratif et financier ou le chef du service contentieux ?


Figurine de crèche est devenu une activité fort prisée par les petites pièces d’argile. Alors fatalement, d’un Noël à l’autre, le taux de chômage ne cesse d’augmenter parmi les 807 personnages de ma « nativité ». L’activité du marchand de marrons, celle du rétameur ainsi que celle du pâtre ne sont pas bien florissantes. Quant au montreur d’ours, au meunier, au rémouleur, les voilà désormais en fin de droits. Dieu merci, roi mage, boulanger et enfant Jésus restent des créneaux porteurs pour 807 ans encore.


Les santons devraient savoir qu’il est imprudent de s’abriter sous les arbres. Cela leur éviterait d’être empalés par les aiguilles lors de l’agonie du sapin.

mardi 16 février 2010

#28 – Anniversaire

Deux pirates, six princesses, trois cow-boys, un chevalier, deux Spiderman, quatre fées... quel défilé ! et ces gosses n'arrêtent pas de tourner dans la maison ; voici Agathe suivie de Lili, elles ont laissé tomber leur déguisement pour jouer à l'élastique dans le salon ; Jean-Cédric et Timothée sortent dans le jardin en criant « baston ! » tandis que Samir et Zineb disposent les pièces sur l'échiquier dans la cuisine. Mais combien sont-ils ? J'en ai compté 807, et il ne me semble pas que j'en aie compté en double. L'année prochaine je ferai l'anniversaire du petit au McDo.


– Mon amour, ce petit déshabillé sexy pour notre noce de soie...
– C'était la semaine dernière, connard !


À partir de combien d'années notre anniversaire devient-il un compte à rebours ?

lundi 15 février 2010

#27 – Désarroi à l’Intérieur

« Parce que, les Français, ils m’ont pas élu pour laisser les criminels en liberté. C’est pas ça, mon job ! Alors, moi, je vous le dis, sérial kilère ou pas, et ben ça suffit ! Et d’ailleurs, aujourd’hui, devant vous, je m’engage personnellement – personnellement, vous entendez bien ? – à ce qu’il n’y ait pas de huit cent septième victime !... »


Parfois, il se demandait si, au moment de s’éteindre, il parviendrait à briller une dernière fois.


La douche froide est-elle un gage d’hygiène mentale ?

dimanche 14 février 2010

#26 – Jardin dans le métro

Dans le métro je lisais le dernier Prix Goncourt, ou Interallié, ou les deux à la fois, sur ma liseuse Sony. Un voisin de trajet, n'ayant pour lecture que Choir papier Minuit, autrement dit étant complètement hors du coup, enragea et, je le vis, cacha bien vite son lourd pavé. En sortant de la rame il fit choir mon appareil, dont l'écran se fêla.


Huit cent sept métros plus loin, intrigué, je lisais Choir à bout de bras. En levant les yeux de mon livre pour respirer, je croisai le regard d'une lectrice de Quinze ans après. Ce qui se passa ensuite ne peut être relaté ici, et l'est plus sûrement dans Choir que dans Quinze ans après, où le sens de « briser le cœur » est plus proche de ce qui se passa.


Il n'est pas question ici de s'apitoyer sur notre sort mais tout de même, dans tous ces couloirs aux regards baissés, inquiète cette impression, un je ne sais quoi, qui nous unit, tragique, et nous sépare.

samedi 13 février 2010

#25 – Hygiénique

Elle calcula que pour atteindre les 807 heures de douche, il faudrait qu’elle en prenne environ 4000. Ce qui lui prendrait 11 ans de sa vie. Et comme elle avait plus de onze ans, elle pensa qu’elle avait passé ce cap sans s’en rendre compte. Un hommage par mégarde, finalement.


Écrire 807 avec des cotons-tiges est impossible. Alors que 111... Mais je m’égare.


Elle s’était enfermée dans la salle de bain. Elle éructait. « 807 plus 4000 multiplié par 11 moins 807 divisé par 111 ! » hurlait-elle. Et aussi « Il n’y a pas assez de cotons-tiges...! ». Je cherchais fébrilement des calmants dans les tiroirs. On est quand même peu de chose.

vendredi 12 février 2010

#24 – Tournons la page

Comment avouer à cette charmante agrégée de lettres modernes rencontrée dans un café littéraire que je me satisfais pleinement d’un livre de chevet n’ayant que 2 pages ?


Ce 807e tour de langue était vraiment ma limite maximale : son plaisir résidait bien au-delà de la luxation de ma mâchoire.


La satisfaction du dimanche matin lorsque l’acquisition d’une baguette toute chaude se double du plaisir de m’être débarrassé de toutes les piécettes dont la boulangère leste consciencieusement mon porte-monnaie au cours de la semaine.

jeudi 11 février 2010

#23 – L’un dans l’autre

On dit du hasard qu’il est la rencontre de deux chaînes causales. Voici donc le hasard auquel nous sommes tous assujettis, voici le maillon à double appartenance, à double valeur, le chiffre, le nombre : 807. Vicaire il est d’ici et de là-bas : là-bas le huit cent septième brelan d’as du maître, ici ce même brelan rapporté, premier des trois brins d’une poignée qui tient à peine dans le creux d’une main pleine.


« Et quoique l'eau interceptée entre les poissons de l'étang ne soit point plante ni poisson, ils en contiennent pourtant encore. » Cette proposition de la Monadologie placée en tête d’une invitation de la Société de philosophie a mis en colère les membres de l’Association romande des pêcheurs professionnels. Décidément de qui se moque-t-on ?


Lili trouve que c’est vraiment une grande chance qu’elle soit née le jour de son anniversaire.

mercredi 10 février 2010

#22 – Contrat n°807

8 balles dans la peau, à bout portant.
0 chance de s’en tirer.
7 blessures mortelles sur 8.
807 dollars pour le tueur, la prime réglementaire. Minable !

8 agents du contre-espionnage embusqués autour du motel.
0 issue.
7 coups de matraque pour neutraliser le tueur.
807 km en fourgon pour le conduire à la prison spéciale.

8 minutes de délibération lors du procès.
0 circonstance atténuante.
7 jurés sur 12 votent la peine capitale par injection létale.
807 jours à attendre dans le couloir de la mort.

mardi 9 février 2010

#21 – Rêve de plumes

Nez pointant hors de la douce chaleur de mes trois vieilles couvertures rêches d'innombrables lavages, ai eu désir, vague et brusque, d'un édredon de linon blanc, enflé de 850, 900 ou 807, pourquoi pas, plumes de colibris.


En filtrant le jour entre mes paupières, j'ai tenté d'évaluer quel serait son volume.


En me rendormant, j'ai décidé de rêver, plutôt, d'une couverture de vigogne.

lundi 8 février 2010

#20 – Binaire, trinitaire ou quadratique ?

Ah ! quel soulagement ! Passer du décompte unitaire d'aphorismes herbicoles à l'orthodoxie triptyque devrait décourager toute tentative donquichottesque de doubler les 807 en un plagiat jardinier, même sous le pseudonyme d'Alonso Fernández de Avellaneda.


Prudence quand même, ne nous laissons pas endormir ni hypnotiser par la perspective d'un 3228e aphorisme signé SX.


Quelle malchance ! il allait comptabiliser ses 269 trèfles quand il tomba sur la variété quadratique...

dimanche 7 février 2010

#19 – Une trilogie de Loire

Avec toi, dans un canoë rouge, j’ai descendu la Loire blonde. Nous avons ramé de concert, chantonnant – It’s just an illusion, it’s always confusions, ouh ouh ouh, ah ah... Pince me et pince moi sont dans une pirogue. On a aperçu un lynx ; trois castors ; sept pirogues fossilisées ; cent quatre aigles ; deux cent quatre-vingts autres rongeurs dont j’ai le nom sur le bout de la langue que je donne au chat, ouh ouh ah ah... ; six cent sept fosses ; sept cent quatre-vingt-trois îles, et nous débarquâmes sur la plus petite, plus fine et plus pâle, la 807e. On a commencé les fouilles à l’aube, et c’est là qu’on a découvert cette authentique faucille irisée. Vamos a la playa, oh oh oh oh...


Tu la ramassas et me rendis marteau.


It’s magic in the air. Embarqués, là où s’endort le loir et qui mène à l’amer, on a ramé vers l’aval. Loin du ruisseau et des gouttes d’eau, adieu les sources. Jours et nuits, il y avait des castors qui font des barrages, et les nymphes qui ne font rien hors de l’eau. This another day an other time. Loin du limon, à l’estuaire, on débarque. Tu cueilles un bouquet de mâche. Et me rends chèvre.

samedi 6 février 2010

#18 – Le missel de mon enfance

Page 807, Dieu m'aime en français et en latin.


Au dos d'une image qu'elle m'a donnée en 1958, et qui a dû servir de marque-page, ma tante Suzanne a écrit qu'elle m'aimait.


Cette image est une reproduction sépia de la crucifixion de Grünewald, et un numéro, le 185 : les chiffres ne savent pas parler d'amour.

vendredi 5 février 2010

#17 – La triplication vue comme sport de combat

Les 807 passent au triphasé, on n’arrête pas le progrès, il fallait ça, sans doute, avec un bon fil de terre, pour y garder les pieds. Deux trous une pointe, ça laisse toujours rêveur, qu'on le transpose en version vaudeville, le mari, la femme, l’amant, version vapeur, le gay, le partner, le giton, ou, toujours disponible sans surcoût, en modèle de base, papa, maman, bébé. Le concept, avant d’être historique (rappelez-vous votre cours de terminale, Tripolis, Triplice et Triple Alliance) ou artistique, fut sacré : si Bosch, Raphaël ou Rubens ont rempli les églises de triptyques, médiévaux en Flandres, Renaissance en Italie, baroques en Autriche, c’est bien pour exalter, Saint Saint Saint trois fois Saint le Seigneur, un Très-haut en trois personnes. La psychanalyse a emboîté le pas, mais malheureusement calé au dernier moment : conscient, préconscient, inconscient, ça, moi et surmoi, et puis pof, plus rien. C’est tout de même con qu'avec ces deux brelans en main Freud ait calé devant une troisième topique. Il aurait gagné le tiercé au cube, ça lui aurait financé son Vienne-New-York en avion plutôt qu'en bateau, une partie de sa coke, peut-être un divan neuf de chez Roset ?

Sans compter que toute triplication est une respiration. Elle donne de l’espace, du temps et... et... (au secours les physiciens, c’est quoi le troisième truc de la liste ? l’énergie ?). Quand on s’octroie le droit au brouillon, à la variation, à la patte d’oie, on se libère. On se délie, on s'étire, on secoue son lumbago, sa dorsalgie. Et peut-être même son arthrose de nuque (je n’ai pas dit d’eunuque, n'ayant que castrat à proposer comme synonyme).

L’intérêt, la force, la puissance invincible du ternaire, c’est son impact rhétorique. « Je te l’ai dit trois fois ! » Tout galopin sait que ça va chauffer, d’instinct. Nul besoin d’aller plus loin. En deçà des trois sommations, la loi n’est pas satisfaite, il faut du libre arbitre et puis certains sont un peu sourds. Mais au delà de l’apothéose ternaire, la beigne tourne au beignet, le soufflet s’essouffle, la main prête à fesser s’affaisse, avoue le laxisme, la défection, l’impuissance. Vous imaginez les dégâts sur une psyché enfantine, en termes de destruction d'image du Père, d’une phrase comme « Arrête de faire les 400 coups, je te l’ai dit 807 fois » ?

jeudi 4 février 2010

#16 – Se relever

Dans quelle angoisse en sursaut je me réveille ! Quel est ce poids sur ma poitrine ? Cette pesante affliction... Oh... Ce n'est que ça : je me suis endormi avec mon livre posé sur ma poitrine, ce n'était donc pas un cauchemar prenant forme réelle, ni la fin prochaine, ni l'éternité d'un monde inférieur passant ses chaînes autour de mes espérances, c'était Choir.


Mon insomnie dura si longtemps que lorsque je me levai enfin, c'était le même jour que la veille.


Beau le voir huit cent sept fois, ce jour terrible, cruel, captivant, toujours une aube rose émerveillera, un ocre crépuscule transportera.

mercredi 3 février 2010

#15 – Abandon

Peut-on sincèrement se réjouir du talent de celui qui est parvenu, sans qu’on le lui demande, à ne pas faire usage de la lettre e dans un récit de près de 300 pages, sans simultanément porter aux nues celui qui réussit à l’instant à ne pas mentionner le nombre 807 dans un exercice qui l’exige ? Je vous le demande, sincèrement ?


Il est cruel de songer qu’à l’instant de notre naissance il n’y avait aucune place de prévue pour nous sur terre, qu’il a fallu nous battre pour obtenir ce qui en tient lieu, et de nous entendre dire avant que nous disparaissions à tout jamais qu’on laissera une place vide dans le cœur de ceux qui nous survivent, une place que rien ne saurait combler. À quoi donc bon dieu aura-t-on servi ?


Lili joue jusqu’à la nuit à cache-cache avec son ombre. Je l’entends pleurer au fond du jardin.
– Mais la partie est finie, reviens, reviens.

mardi 2 février 2010

#14 – Cuisine interne

Après avoir déposé, sur la table de la cuisine, les 807 lettres publicitaires, avis d'huissiers et autres factures qui s'étaient accumulés durant son absence, il se jura de ne plus jamais rentrer à son domicile.


Souvent il se demandait pourquoi la vie lui pesait bien plus que l'infinie légèreté de l'être.


La dénonciation d'un sans papiers renforcerait-elle mon identité nationale ?

lundi 1 février 2010

#13 – Petite théorie de la relativité des compétences

Les « aires de mobilité professionnelle » communément admises font que les mannequins célèbres, une fois usés, se reconvertissent naturellement dans la chanson, le cinéma, la télévision ou l’humanitaire sans que personne n’y trouve à redire. Il est plus rare, en revanche, de les voir démarrer une seconde carrière au sein d’entreprises de propreté, de dératisation ou de terrassement. Certains ont tenté la littérature mais ont été définitivement dissuadés par la pénibilité du travail.


Si ce charpentier maladroit construisait ses toits comme ce chanteur nullissime interprète ses bluettes, les tuiles s’écrouleraient inévitablement. Il serait alors fort justement licencié pour faute. Le chanteur, lui, pourra toujours jouer dans une comédie musicale francophone à succès.


J’ai fait 807 petits métiers avant d’en arriver là dit la star de cinéma : elle a eu en effet 807 cachets d’une heure pour de la figuration.