samedi 5 juin 2010

#136 – Dérapage pour la soif

Au départ une stupidité, ce satané canal qui a surgi de l’obscurité. Savez-vous que les myopes voient mal la nuit. Tu m’avais cassé les pieds et les lunettes, on avait trop trinqué. Un abruti vient de me chourer mon sac Gagliano. Je me retrouve à cavaler après, bringuebalante dans mes escarpins trop serrés. Sans crier gare il tourne, mon talon vrille et sur le côté, je glisse.


Non, je ne tombe pas, ce n’est pas possible, ce froid, ce mouillé qui glisse le long de mon corps. Essaye la nage du petit chien, coordonne les mouvements de tes membres. Quelle complication sans borne. Curieusement, le bord du canal apparaît au niveau de mon nez, un liquide âcre envahit ma bouche. Je hurle, enfin, glapis des bulles – help, aidez moi ! Quelque chose me caresse le pied, me choppe dans le bouillon.


J’abandonne l’espoir de mon sac et de toi, j’abandonne l’envie de remuer encore, la possibilité de revoir la ville, à la surface des apparences je laisse tout flotter pendant que ça continue à s’entortiller autour du mollet. Dans un courant tiédasse, un souffle souterrain m’aspire. Rien à y faire. À peine l’instant d’un coup d’œil sur le périphérique, les lumières floues qui me surplombent, tremblements successifs de la carcasse, et l’eau qui serre, et ces 807 étincelles moirées qui me ravissent encore. Au loin, l’écho d’une comptine oubliée, quelques notes encore, le chuintement d’un nouveau silence.

2 commentaires:

M agali a dit…

Dès le zeugma initial, "casser les pieds et les lunettes", je savais que ce serait mieux que ben...

Christophe Sanchez a dit…

J'aime beaucoup. Et la seconde zeugma est terrible, "J’abandonne l’espoir de mon sac et de toi", superbe!