mercredi 1 septembre 2010

#174 – Le loto

J'ai beau tenter de frapper à l'huis sans sept, puisque le chiffre « 7 » s'est décollé de sa porte, personne ne répond. Je sais que se terre ici, en son antre sombre, seul dans sa folie, Louis Sunset, ce vieux flic de la Nouvelle Orléans, atteint d'une crise de paranoïa aiguë, provoquée par un certain Ali Mag qui l'a poussé à extraire de sa vie les récits les plus sanglants vécus dans le Bayou. Je frappe à sa porte, inquiète déjà. Il n'est pas venu depuis dix jours, partager son whisky avec moi, comme il le fait chaque fois qu'il a le blues, c'est-à-dire un soir sur deux. Il ne répond pas. Où est-il donc ? Je descends les trois marches de son sous-sol qui me nargue avec un soupirail à demi fermé par les toiles d'araignée.


Je pousse la porte branlante, je finis par pénétrer dans un capharnaüm digne d'une vente aux enchères ou s'entassent les souvenirs de toute une vie : machine à tisser, raton-laveur empaillé, vélo cabossé, passoire sans trou, ressorts, ferrailles, vieux livres décollés, poupée écartelée, soc de charrue rouillé, jambe mécanique datant de la guerre de 14, mais au fait... voilà un indice : 14 c'est deux fois sept, non ? En farfouillant dans l'amoncellement surréaliste avec cet objet long et rose, comme si c'était une baguette magique géante, je tombe sur la boîte éventrée d'un jeu de loto aux cartes écornées que l'humidité fait pâlir. Il y a bien un huit, un vingt-huit et un trente-huit mais il n'y a pas de sept, de dix-sept, ni de vingt-sept. Cette suite de huit sans sept me fait penser à une vie interrompue par un malheur inéducable, comme une table des dix commandements où ces deux chiffres auraient été désagrégés par la foudre du malheur. Je sais déjà ce que je vais trouver dans la pénombre...


Louis s'est pendu. Il se balance au dessus de tout cet attirail sordide, comme un point d'exclamation sinistre à ce sinistre inventaire à la Prévert. Il est pieds-nus, derrière son huis, sans sept et sans chaussette, pour l'éternité.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Joli solo de loto, Mo, heu, je veux dire qu'on tend presque jouer un saxo en sourdine dans la rue qui longe le bayou...